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En « ce temps de détresse »… N°633

Écrit par sur 28 mai 2014

Jean-Paul Dollé cite ainsi René Char : « Poésie et Vérité, comme nous le savons, sont synonymes. » Il faut essayer de comprendre pourquoi il est de l’essence de la poésie qu’elle soit synonyme de la Vérité et pourquoi, comme le dit Hölderlin, il y a encore un lieu en « ce temps de détresse » pour que la Vérité ne soit pas haïe. Pourquoi la poésie sauve la Vérité ? «  (Haine de la pensée –Ed Denoël).

Si en « ce temps de détresse », la poésie est en elle-même un lieu, elle résidait le week end dernier lors du festival des Polyphonies, rencontres poétiques de la maison de la poésie de Rennes, dans le jardin de celle-ci ou à bord de l’Arbre d’eau, une péniche amarrée face à la Villa Beauséjour. S’y tenaient des lectures. Samedi après-midi, deux. J’y assistai.

La première réunissait deux poètes : Abdallâh Zrika -poète marocain arrêté en 1978 pour atteinte à l’ordre public pour publication d’œuvres poétiques , deux ans en prison avant d’être jugé, mise au pilon des œuvres- qui arrivait tout droit d’au-delà de la Méditerranée et Michaël Glück –posture professorale d’ateliers d’écritures « chacun a une écriture » (à la condition de la faire advenir à soi) pour ce poète multifonction qui adore lire en musique quitte à être à deux doigts de chanter-, qui lui réside de ce côté-ci de la Méditerranée (Montpellier).

La seconde en soirée fut celle de Christian Prigent de plus au nord (Saint-Brieuc), accompagné d’une comédienne remarquable. Scène en duo. Dare-dare. Belle performance en péniche-spectacle pleine comme un oeuf. Lecture à fond la caisse. Contre le « parler faux » dit-il par ailleurs. Toujours est-il mots à foison, énergie, la vie salutaire dans ses excès. A la façon Christian Prigent: froide, percutante, éveillée, tendue, écrasante. Extrême, donc. A Rennes on ne savait de lui jusqu’à samedi que ce que l’on dit de lui. Il était temps que lecture se fasse. Là où le dit se loge.

« Poésie et Vérité », donc. Le tout capté par nos soins (à écouter bientôt en rayon sonothèque sur le site de la MP).

On ne fait jamais –ou on ne fait plus- assez l’apologie de la poésie. Stable en cette péniche alors que le canal fluait. Comme sa surface est apparemment plane on se soucie peu que le canal flue. C’est heureux d’y penser. Quand on y pense. Moment rare. Parce que d’un canal on s’en fout de nos jours. Envasé d’indifférence. A moins de pouvoir s’y stationner dessus. A moins d’y courir au bord. Stationner et courir c’est pareil. Pour une péniche. Ayant jetée son ancre de bois près de la boîte à lettres de ladite villa (accueillante à l’odeur de café chaud). Un canal, l’eau qui flue en douceur, c’est équilibre et flottaison, tranquillité et mobilité.

Dans la poésie y a de ça. Bien sûr elle se donne à être imaginée pour que de nouveau elle puisse fluer. Ne se contente pas d’être. Pas plus qu’un canal. Il flue. Eh bien la poésie c’est pareil. Elle flue. Bon, à « fluer » Prigent aurait choisi volontiers un terme plus pêchu. A en faire dresser les poils du bourgeois. Poils d’ailleurs qui intéressent aussi la poésie. Puisque ça parle du corps. Mais comment en parle-t-elle ?

Si le canal soutient le poids de la divine plénitude batelière, la poésie soutient celle de la nomination.

Du coup, allons à la racine des choses. Fouillons. Qu’est-ce que ça signifie tout ça ?

Dollé dit : « Le poète, lui, dit : « Poésie et Vérité, comme nous le savons, sont synonymes. «  Pourquoi ce privilège de la poésie, et non pas le privilège du poète. En ce que la poésie garde l’essence du langage. En ce que la poésie enjoint le poète, en ce que le poème est l’origine de la langue et que la langue n’est que l’usure du poème.
Le poème nomme. Il faut s’arrêter sur ce que veut dire nommer. Nommer c’est selon l’évidence : donner un nom. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire appeler, c’est-à-dire rappeler. (…)
Poiên c’est ce qui du caché peut venir dans sa propre présence de présence, poiên c’est le passage de l’oblitéré, du prisonnier de l’obscurité et de l’absence ; c’est le passage dans la région de la présence pour autant qu’elle advient à son présent, à son présent qui dure. Cette sorte de poiên en tant qu’il effectue le passage ne peut être compris que sous la modalité de ce que peut être l’energeia. L’energeia, que la pauvreté de traduction a intitulé énergie, ne fait que dire ce qui a été de nouveau mis en retrait, ce qui a été oublié de ce que la langue grecque depuis Aristote voulait faire advenir quant à la présence. 
Aristote dit que l’energeia c’est ce qui fait que quelque chose est quelque chose.(…)
C’est l’energeia qui fait que du bois l’on dise que c’est une table ; de la pierre qu’on dise c’est la Vénus, du monde qu’on dise que c’est Athènes et de l’homme qu’on dise c’est l’homme. L’energeia c’est bien autre chose que ce qui sera après pensé comme cause, l’energeia n’est pas la cause du fait que du bois l’on passe à table, ce n’est pas la cause que la pierre passe à la statue, etc. Ce n’est pas une cause. »
(…) » La poésie, en « ce temps de détresse » dit qu’elle est synonyme de Vérité ; elle dit qu’elle tient un privilège. Elle le tient non pas du poète, mais de ce que le poème est de nouveau l’entrée dans l’energeia, dans la présence en tant que présence, dans la chose en tant que chose et, en ce sens, retour à l’essence du langage qui est que la chose existe d’être nommée comme chose. 
(…) C’est en ce sens que Hölderlin peut dire que : « la poésie est l’activité la plus innocente qui soit. », « le langage est la chose la plus dangereuse qui soit. ». Dangereuse, parce que précisément elle laisse ouverte la possibilité du choix entre l’invocation et la convocation.»

L’energeia est un outil fort précieux. Mais gare au langage ! Qui sert beaucoup trop à écraser l’autre. Une arme de domination, disait Bourdieu. Voilà ce qu’il faut aussi entendre en « ce temps de détresse ».

D.D


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