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« Les chèvres de ma mère ». N°629

Écrit par sur 30 avril 2014

« Les chèvres de ma mère » est un film, un documentaire qui aborde le monde du travail. Pour être plus précis : la transmission. Qui devient au fil des images une belle histoire. L’histoire d’une chevrière-fromagère qui transmet son exploitation d’une vingtaine de chèvres et une ânesse à une jeune femme nouvellement diplômée d’une école agricole. Localisée en un endroit remarquable, particulièrement sauvage, un causse à la terre austère sur la commune de Trégance, Var, près des gorges du Verdon.

Les personnages. D’abord il y a Maguy, qui s’est installé là en 73, c’est une ex-soixante-huitarde qui voulait quitter la ville. Quarante ans après, il est temps pour elle de faire valoir ses droits à la retraite. Dont elle s’apercevra, en étant sur le point de raccrocher, qu’elle est maigrichonne.

Puis il y a Anne Sophie. Qui est cette jeune femme qui cherche à s’installer sur une exploitation en bénéficiant des aides accordées aux jeunes exploitants. « Impossible de s’installer sans aide » dit-elle. Qui en attend 37 000 euros. Donc dans les règles comptables et selon les normes sanitaires obligatoires. Dans le cadre des dispositifs de la Chambre d’Agriculture : parrainage et autorisation d’installation, les autorisations, les permis, les prêts qui se débloquent si et seulement si mille et unes conditions sont réunies . D’où ce projet de fromagerie livrée et posée en kit. Lequel nécessite un permis de construire qui tarde à être délivré mais qui conditionne le déblocage des prêts donc des aides. Liberté ? Marge quasi-nulle. Bref, tout s’annonce pour Anne-Sophie à l’opposé de ce qu’aura vécu Maguy sans rendre des comptes à qui que ce soit.

Puis il y a Sylvie qui tient la caméra. Sylvie est la fille de Maguy. Elle suivra avec sa caméra toute la mise en place de la reprise de l’exploitation de Maguy par Anne Sophie.

Puis il y a les chèvres: Blanche, Cachou, Caféine, Danette, Clochette, Nuage… les chèvres du troupeau de Maguy. Qu’elle aime tant. Qu’elle redoute de quitter. C’est-à-dire de les vendre à Anne Sophie. Condition obligatoire cependant pour pouvoir prétendre à sa retraite.

Tout est filmé avec finesse. Très rare. Ce film ne ressemble à aucun autre sur le monde rural. Sans discours journalistique, sans discours tout court. Nous est transmise par sa charge émotionnelle la beauté de la vie, donc le bon et le mauvais côté du réel. Dans la simplicité, une façon d’être naturelle. Calme et sérénité, nature et chèvres.

Belle et douce histoire, pleine d’humanité et de réalisme, qui nous informe sur la réalité du monde agricole. Sa mutation. La complexité administrative, la normalisation généralisée des goûts et des pratiques. L’inquiétude des futurs retraités face à leur modeste retraite à venir. Une pension de 630 euros brut par mois- ridicule pour Maguy au regard de son labeur.

LES+CHEVRES+DE+MA+MERE+PHOTO3Mais c’est l’extrême empathie qu’entretient Maguy à l’égard de ses chèvres qui est touchant. Sont tellement proches les unes aux autres. Difficile, donc, ce processus de transmission. Maguy aime son troupeau. Et son troupeau l’aime. Quarante ans avec ses bêtes dans cette bergerie à Saint-Maymes, plateau d’altitude, où tout est resté intact depuis son arrivée , « Tu verras, dit Maguy à Anne-Sophie, au fil du temps les chèvres te formeront. »

Quarante ans qu’elle les nourrit, les sort par tous les temps, les soigne, met aux mondes chevreaux et chevrettes, se sépare des animaux les plus fragiles – les tue elle-même « sans déléguer ça à quelqu’un d’autre, même si je dois me faire violence, je suis sûre qu’elle partent comme je le souhaite « , et confectionne des fromages au lait cru dans le respect de la tradition fermière. Comprendre : sans trop se soucier des normes.

Travail, souvent ingrat. Qui est de suivre le cycle: mise à bas, on tue les cabris, début de la traite. Saison de lactation. Faire le fromage, l’affinage, manier, retourner, emballer, vendre. Le foin à préparer. Etre vigilant au moindre pépin de santé. Qui peut prendre des proportions catastrophiques. Comme sortir le petit du vendre de sa mère, passer la main, prendre sa tête, le faire sortir. Pour sauver la chevrette quand le cabri est mort.

Epanouie au milieu de cette nature rude et belle. Mais l’heure est arrivée pour Maguy de céder son troupeau. Et là c’est une autre paire de manches. Alors par phrases courtes sort d’elle l’essentiel . Quand elle voit lors des rencontres d’Anne-Sophie avec les administrations pour préparer son installation, qu’ils disent « c’est ça, ils disent c’est comme ça, mais qu’est-ce qu’ils en savent eux si c’est comme ça ? Jamais n’est pris en compte le bien être des animaux. Or pour faire un bon fromage, faut un bon lait, et pour un bon lait il faut que les bêtes soient bien. », « Parce que dans le temps ils faisaient vraiment des fromages excellents. Chacun avait sa manière de faire et tout. On en arrive à vraiment faire un truc : chez tout le monde la même chose. »

La voix posée. Dans son bel univers hors du temps, de rocaille, sa bergerie, le passage ancestral dallé de pierres blanches polies par le temps entre deux très vieilles bâtisses, Maguy poursuit  » Moi j’ai vécu en dehors du réel. Le réel c’est ça, c’est pas marrant du tout », dit-elle en prenant conscience que la transmission des terres et des bêtes, et la contractualisation c’est décidément compliqué à tous niveaux.

Ce qui se passe, ou plutôt ce qui passe entre les deux femmes de deux générations bien éloignées, est suivi, saisi délicatement par la caméra de Sophie Audier. Qui, tout en filmant la vraie histoire de sa mère et de ses chèvres, elle-même complice des deux, les questionne.

Sur la transmission. Selon le prévisionnel d’installation validé par les experts de la chambre d’agriculture, avec trente chèvres, Anne-Sophie peut espérer 29 410 euros de revenus par an. Avec vingt chèvres, Maguy gagnait en tout 11 000 euros.

Voici donc un dialogue à trois voix. En une compagnie heureuse et paisible. Bien que deux conceptions se font face : l’une éprise d’autonomie, l’autre contrainte au respect du cadre imposé.
Extrait.

En écho à cette présentation, ré-écouter l’entretien que nous a accordé Jean-Claude Juhel, éleveur de brebis installé à Saint-Broladre, dans la baie du Mont-Saint-Michel.

D.D


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