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Les déçus. N°567

Écrit par sur 13 février 2013

Pas très beau ce déroulé de langue. Mais ce qui est marrant (je trouve) c’est que ce caméléon venu des Tropiques est quand même réputé pour ses qualités mimétiques qui le rendent souvent parfaitement invisible. C’est pour cette raison que je l’ai choisi pour illustrer mon propos, parce qu’il me renvoie illico au déroulage et réenroulage de langue des déçus.

Nous sommes investis, envahis, submergés par des déçus. Des déçus très particuliers. Des déçus politiques. Que ne sont-ils déçus d’eux-mêmes ? Et d’abord de quelle séduction ces déçus sont-ils déçus ? De quels fantasmes trop vite exorcisés? Comment ne pas voir que la déception est dérisoire ? Qu’il y ait des revers, d’accord, ça agace. Mais chez ces déçus c’est autre chose: il y a une imperturbable autorité. Si l’histoire ne suit pas le cours qu’ils escomptaient, bon, alors ils sont déçus. Du coup, ils font autorité.

Sans envie d’être autre chose. Sans se retrousser les manches ou attendre, quand rien ne semble possible sur le moment, en essayant au moins de comprendre. Non à quoi bon. Sont déçus, déçus ! Ils l’affirment. Voilà, déçus ! Et puis il y a les autres, qui n’affirment plus rien. Qui renoncent. Ils renoncent aussi à comprendre. Ils se retirent sur l’Aventin. Ou rentrent en eux-mêmes. L’ennui c’est qu’il n’y a pas de refuge véritable.

Ces déçus sont partout. Particulièrement depuis que ça ne suit pas le cours escompté. Ainsi le Printemps arabe. Ainsi l’Europe. Qui ne donneraient pas les résultats escomptés. L’escompte est une forme particulière de prêt. Dans notre cas, le déçu est l’autorité qui a prêté confiance. Délai de retour sur investissement ? évidemment en un clin d’oeil.

C’était il y a deux ans. En Tunisie. Qu’est-ce que deux ans au regard de l’histoire? La démocratie ça prend du temps… L’Europe a connu son Printemps des Peuples en 1848…100 ans avant d’être vraiment démocratique. Et la séparation église-état a mis des siècles.

Mais bon, dès lors sans retour sur investissement en un clin d’oeil, des déçus. A la pelle. Qui prennent peur. Prennent pas le temps de comprendre, non, prennent peur. C’est plus court. Plus rapide. Un raccourci. La peur. Ainsi des terroirs et des racines, le fait d’être né quelque part, gonfle les partis de la haine: Voyez ! Tous des islamistes ! A mort l’Europe !

L’ethnologue Marc Augé dans son dernier livre Les Nouvelles peurs écrit ceci :
« Rien n’est plus redoutable que la peur née de l’ignorance. On a raison de s’en inquiéter et de tenter de la prévenir. Mais elle est d’autant plus redoutable qu’elle risque de déclencher en retour des peurs de même type, par exemple quand une action terroriste entraîne des réactions aveuglément racistes. Certains, d’ailleurs, savent jouer de la peur et graduer leurs provocations pour pousser leurs ennemis à la faute. Nous avons conscience de ce jeu, à l’oeuvre sur l’ensemble de la planète, et nous avons raison d’en craindre les effets.
En craindre les effets, cependant, ce n’est pas nécessairement en avoir peur. Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la liberté d’expression, l’instrumentalisation des jeunes gens sans emploi et sans éducation lâchés aveuglément dans les rues pour massacrer les impies, les appels à ressusciter les procédures juridiques les plus anciennes et les plus réactionnaires, à remettre les femmes à la place dont elles n’auraient pas dû avoir la tentation de s’éloigner, devraient susciter l’indignation, non la peur. Pour des esprits vraiment libres, il n’est pas tolérable que l’idée archaïque du Dieu unique et de son ou ses prophètes puisse prétendre avoir force de loi. Je ne suis pas intéressé par « blasphème », parce qu’il se place sur le terrain de ceux qui croient savoir en quoi ils « croient », mais certains combats doivent être menés et, avant de trembler devant la colère éventuelle de ceux qui se sentiront offensés par telle ou telle insulte à la religion ou à Dieu, on ferait mieux de soutenir sans ambages la lutte des femmes tunisiennes qui, tête nue, défilent dans la rue pour refuser d’être ramenées cent ans en arrière par quelques mâles barbus prêts à en découdre. »

Soutenir sans ambages. N’en parler surtout pas au déçu. L’invisible… Pour lui, l’affaire est entendu. Bien avisé serait-il pourtant de méditer cette déclaration remarquable d’un homme simple, prononcée en français le 6 février dernier devant le parlement de Strasbourg. Ces paroles sont de Moncef Marzouki, président de la nouvelle République Tunisienne. Elles ont été tenues quelques heures à peine après l’assassinat de l’opposant politique tunisien Chokri Belaïd, fer de lance de l’opposition laïque en Tunisie. Voir la vidéo

Moncef Marzouki qui a été un grand combattant pour les droits de l’homme et la démocratie en Tunisie, n’y voyait pas une coïncidence avec son rendez-vous européen – Chokri Belaïd, le tribun des ouvriers, des femmes et des pauvres, était assassiné par balles alors qu’il sortait de chez lui à Tunis. « C’est une menace, c’est une lettre envoyée. Mais qui ne sera pas reçue. Nous refusons ce message et nous continuerons à démasquer les ennemis de la Révolution et continuerons notre politique. »

Que ce discours fort soit largement diffusé. Car il s’adresse aussi à tout citoyen européen. Qui se complaît trop par lâcheté dans le « Suis déçu ! » à la mode cynique de chez nous. Dans cet hémicycle, qu’ils sachent au moins qu’il n’y était pas énoncé juste des paroles. Mais des paroles justes : « L’Union européenne nous fascine par ce qu’elle a réussi de plus remarquable : la réconciliation franco-allemande. L’existence d’un tel miracle montre la possibilité de sa reproduction, malgré la rareté des miracles. »

Moncef Marzouki parlait à ce moment-là au nom du peuple tunisien tout entier. Tel qu’il est depuis qu’il s’est libéré tout seul de la dictature. Il témoignait aussi de sa vie d’exilé politique en France. Un souhait : que cette arrogante autorité des déçus rabaisse un peu son caquet. « L’histoire est toujours au-delà des peurs et de l’espoir. » (Marc Augé).

Quant à être de mèche avec le conformisme politique et marchand dans l’esprit du temps, il n’y a pas mieux qu’un caméléon déçu. D’ailleurs, à propos de cette formule « être de mèche », j’ai trouvé ça : « Selon les lexicographes, elle nous arrive du gascon ou du provençal ‘mech’ qui veut dire ‘moitié’, ou bien du ‘mezzo’ italien qui signifie aussi ‘moitié ‘ou ‘moyen’ (tous ces mots ayant probablement la même origine latine). On est donc loin de la mèche qu’on allume. Mais Wartburg compare lui l’idée « d’arrangement conclu (donc préalablement préparé) » qu’on retrouve dans l’expression avec le sens de « matière préparée pour prendre feu aisément », ce qui nous ramène à la mèche d’explosif. Toujours est-il que, à la fin du XVIIIe siècle, lorsque cette expression apparaît, « de mèche » a le sens de « de moitié dans un coup, un partage ». Elle est précédée de peu, dans l’argot des typographes, par « être à mèche d’affut pour « être de moitié dans une affaire ». Et quand on est « de moitié » donc qu’on participe activement à une affaire avec quelqu’un, est-ce qu’il n’y a pas obligatoirement cette connivence, cette complicité qu’on trouve dans le sens de l’expression ? »

D.D


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