En ce moment

Titre

Artiste

 Titre diffusé : 

 Titre diffusé : 

Background

« L’humus humain. » N°1010

Écrit par sur 15 septembre 2021

La nuit dernière dormant mal, je me relève. Au hasard devant les étagères, saisis un livre à portée de main, et l’ouvre à la page 206. Ecarte les paupières et me frotte le visage, c’est alors que me sautent aux yeux ses lignes reprises ci-dessous. Hasard réjouissant. Reprends mes esprits et respire fort. Quelque chose en tout point d’actualité en ce début des premières annonces des grands thèmes de débat de société – ou des lambeaux d’idées, voire des pensées d’oiseau- en vue du marathon élyséen.

Il s’agit là d’un extrait d’un entretien avec Cornélius Castoriadis publié dans Transversales Sciences/Culture, de février 1991 ! – réédité dans l’ouvrage Cornélius Castoriadis « Une société à la dérive » de mars 2005.

Inaudible à son époque quoique finement visionnaire. Plus d’avenir finalement. Puisqu’il porte sur ce débat de société primordial aujourd’hui quant au « traitement de toutes les personnes au contact avec les élèves » dixit Anne Hidalgo, nouvelle candidate.

Alors qu’il y a trente ans Castoriadis ignorait tout – comment pouvait-il en pressentir les prémices ?- de la captation d’attention et sa démesure, des plus jeunes par les écrans internet et réseaux dits sociaux. Avec tout ce que ces derniers peuvent charrier de dérive en terme de modèles d' » éducation », qui immanquablement disloque et piétine le système éducatif peu attractif avec l’aliénation qui s’ensuit.

Ou comme en témoigne Philippe Meirieu, pédagogue « Dans le monde du zapping et de la communication « en temps réel », avec une surenchère permanente des effets qui sollicite la réaction pulsionnelle immédiate, il devient de plus en plus difficile de « faire l’école ». »

« En bref, que cet humus humain demeure le socle de son histoire » comme le pense par ailleurs de l’éducation scolaire le philosophe Daniel Bougnoux. Car là aussi la machine à rafler les consciences est à la manoeuvre. Ainsi poursuit celui-ci « Le vortex médiatique et celui de la finance tressent aujourd’hui un même « courant » qui ronge les fondements de notre culture. »

Quand la nuit impose son propre agenda politique, de cette lecture appuyée et salvatrice, à toutes fins utile, en voici ci-dessous la teneur.

« Chaque ministre produit une « réforme » du système éducatif, on triture interminablement – et très superficiellement- les programmes, et la somme de tout cela est égale à zéro. Pourquoi le système d’éducation se décompose ? Il y a trois éléments fondamentaux, dont on ne parle jamais. D’abord, il ne peut y avoir éducation si les élèves ne sont pas intéressés par le fait d’apprendre et par ce qu’il y a à apprendre. Actuellement, on est incapable de fournir une réponse à cette question ; la seule réponse réelle, qui est dérisoire, est : avec votre papier, vous pourrez obtenir du travail – ce qui n’est même pas vrai. L’école devient ainsi une usine de fabrication de certificats d’aptitude professionnelle. En deuxième lieu, la question des enseignants. Enseigner n’est pas un métier comme les autres, ce n’est pas un métier pour « gagner sa vie ». Enseigner, c’est apprendre aux enfants à aimer le fait d’apprendre, et pour cela il faut aimer enseigner et aimer les enfants. On ne peut rien transmettre si l’on n’est pas possédé par ces deux amours, et si l’on n’est pas capable d’inspirer de l’amour.

C’est dès l’école qu’on fabrique un être humain, un citoyen. C’est là qu’on apprend à comprendre, à choisir…

Certes. Et cela m’amène au troisième point. Choisir exige d’être capable de s’orienter et d’avoir une hiérarchie des valeurs. Où sont ces valeurs dans la société d’aujourd’hui ? Dans une société qui n’affirme en fait comme seule valeur que l’argent – et qui, même sur ce plan, est incohérente, puisqu’elle a besoin d’informaticiens qu’elle paye dès leur sortie d’études trente ou quarante mille francs par mois, alors qu’elle en donne quinze à leurs professeurs ? Qui deviendra professeur de mathématiques demain ? Et pourquoi un juge, qui peut avoir à décider d’affaires portant sur des centaines de millions, restera-t-il intègre ?

Si nous suivons en tout le modèle américain…

Mais nous le suivons : comme le disait Marx de l’Angleterre de son époque, c’est le miroir où nous pouvons regarder notre avenir. On connaît la situation pitoyable du système éducatif américain dans le primaire et le secondaire. Elle était, très partiellement, compensée par le système universitaire. Et maintenant les statistiques montrent que ces universités avec leurs merveilleuses bibliothèques, leurs laboratoires de rêve, etc., doivent recruter presque en majorité des professeurs étrangers, et des étudiants doctorants et postdoctorants étrangers. Les Etats-Unis n’arrivent pas même à reproduire leur élite culturelle.

Tout cela pour dire que la démocratie est une question qui dépasse la politique. C’est une question totale. La société est dominée par une course folle, définie par ces trois termes: technoscience, bureaucratie, argent. Si rien ne l’arrête, il pourra de moins en moins être question de démocratie. La privatisation, le désintérêt, l’égoïsme, seront partout – accompagnés de quelques explosions sauvages des exclus, minoritaires et incapables d’avoir une expression politique.

Mais le rêve de contrôle, de maîtrise générale du système que nourrissent les bureaucrates et les capitalistes ne se réalise pas !

C’est clair. Plus on étend des savoir-faire et des pouvoir-faire partiels, plus s’affirme un impouvoir généralisé. La situation n’est dominée ni contrôlée par personne.

C’est peut-être la chance de l’humanité, notre chance de parvenir à plus de sagesse…

Il faut de la sagesse, et il faut de la volonté. »

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour de Cornélius Castoriadis. Ainsi que de Daniel Bougnoux, et de la captation d’attention avec Yves Citton.

 

A lire aussi des extraits tirés de textes de Castoriadis, sur la page Lieux-dits de Françoise, ici.


Les opinions du lecteur

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.