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« Les rebelles magnifiques », bis. N°1147

Écrit par sur 8 mai 2024

Reprenons ce jour cette ultime sentence de la Chronique d’avant : « les membres fondateurs du terme « romantique » tenaient : « au caractère indéfinissable du concept ». Une formulation inhabituelle qui laisserait plus d’un érudit sur le carreau. Mais se sentant à plus d’un point légitime pour en creuser la question, comment lâcher ce livre captivant « Les rebelles magnifiques  » dont il a été question ici ?

Au mieux, comment ne pas insister sur la notion qu’il développe. Quoique surannée, convenons-en ! Qu’appelle-t-on « romantique » ? Convaincue est-elle, cette Chronique d’ici-même, de contribuer à apporter quelques précisions notoires à un vocable appliqué à une situation géographique et administrative, ladite « Bretagne romantique » dont on ignore toujours la signification, quand bien même elle n’en aurait aucune.

Qu’on me comprenne bien, si dans cette appellation à connotation touristique on ne peut s’empêcher d’y voir une adresse, aurait-elle permis de créer un lieu dans lequel ce romantisme se sent chez lui ? Qu’il y soit compris et reconnu puisque le nom de cette entité jouit d’une certaine notoriété depuis près d’une trente années maintenant.

Seulement voilà, nous sommes en 2024 et non à ces temps romantiques qui décriaient « la logique ordinaire (qui) était une pensée mécanique et froide ». Mais à l’inverse, à la colonisation algorithmique de notre imaginaire par l’économie. A laquelle chacun est sommé de s’y soumettre jusqu’au grand n’importe quoi – lire ici.

Pourtant, sans lâcher le morceau la Chronique synthétisera l’exploration de l’expression par cette formule de l’historienne Andréa Wulf, l’auteure de l’ouvrage : « C’est du lien existant entre l’art et la vie, entre l’individu et la société, l’homme et la nature qu’il était question. (…) la poésie romantique pouvait souder des disciplines et des sujets différents pour en faire quelque chose d’original et de nouveau.(…) La célébration de l’imagination par le groupe, leur rejet des genres et des styles littéraires traditionnels autant que leur insistance sur la valeur de l’expérience individuelle se retrouveraient par la suite dans la plupart des oeuvres des écrivains et poètes romantiques. Ces idées-là façonnèrent le romantisme dans le monde entier. » (pg231).

Déconcertante de prime abord, néanmoins cette façon de correspondre ne nous pousse pas ici-même à un dépaysement total. Car si proche à ce qui, de nos jours, laisse apparaître comme lignes de rencontre avec l’anthropologue et « penseur du vivant » écossais Tim Ingold, souvent évoqué ici.

Pour preuve, le recueil d’essais « Correspondances – accompagner le vivant  » de celui-ci, tout frais traduit, qui selon sa présentation invite à « correspondre » avec ce monde, dans un dialogue avec l’environnement afin de prouver qu’il n’y a pas de « barrière ontologique infranchissable entre les mots et le monde ». Qui dit mieux ?

Son traducteur le présente ainsi : « c’est-à-dire à porter un regard plus fin et plus complet sur ses brindilles, dunes, flocons de neige, ombres, métaux, ou simples lignes du paysage, par le prisme de leur passé et de leur devenir, et des liens qu’ils tissent et détissent à chaque instant avec les éléments et les êtres vivants. »

Autre preuve. Rien n’avait prédisposé la Chronique du jour à cette découverte à tâtons, dont elle s’honore : Tim Ingold s’inspire de ces « rebelles magnifiques  » !

Ainsi écrit-il : « En Allemagne, il y a deux cent ans, Johan Wolfgang von Goethe proposait une conception de la science très semblable à celle-ci. Cette science exigeait de ceux qui la pratiquent qu’ils passent du temps avec l’objet de leur attention, qu’ils observent attentivement et avec tous leurs sens, qu’ils dessinent ce qu’ils observent et qu’ils s’efforcent d’atteindre un tel niveau d’implication réciproque ou d’appariage, dans la perception comme dans l’action, que l’observateur et la chose observée deviennent à terme indiscernables. C’est de ce creuset d’implication réciproque que naît toute connaissance, affirme Goethe. Cependant, les attitudes contemporaines vis-à-vis de ce que le courant dominant techno-scientifique appelle la « science goethéenne » sont révélatrices. Celle-ci suscite généralement un niveau d’indifférence voisin du mépris. Les personnes qui la pratiquent sont ridiculisées, tandis que les propositions d’articles qui s’y réfèrent sont systématiquement rejetées par les revues scientifiques.

Cette attitude n’a pourtant pas toujours été présente. En effet, tout me porte à croire que ce n’est pas un hasard si ce rejet virulent de ce que nous pourrions appeler la science de la correspondance a coïncidé avec la colossale expansion, dans les quarante dernières années, de la mondialisation et de l’économie politique néolibérale. De toute évidence, nous avons assisté pendant les dernières décennies à un « durcissement » très marqué de la science, qui peut aisément être corrélé à sa marchandisation en tant que moteur d’une économie mondiale de la connaissance. Or cette commoditisation de la connaissance exige que les fruits de la démarche scientifique soient arrachés aux courants de la vie. Cette rupture est assurée par la méthodologie : plus la science est dure, plus sa méthodologie est robuste. La compétition sans répit pour l’ « innovation » et l’ « excellence » a eu pour effet de nourrir une sorte de course aux armements méthodologique qui éloigne toujours davantage les scientifiques des phénomènes qu’ils font profession d’étudier, et les entraîne toujours davantage dans des mondes virtuels qu’ils ont inventés eux-mêmes. » A lire ici.

Plongés de bout en bout dans l’exploration de cette expression obscure, impénétrable, le « romantique », qui n’appartenait pas au même monde ni même de la même époque que les nôtres, eh bien au fil de l’eau, à la lecture d’Andréa Wulf, des lueurs inespérées de clarté apparaissent. Et elles pourraient s’apparenter à notre façon, à Radio Univers, de faire pulser les sons et les idées d’un futur de « correspondances « . Rien de moins.

D.D

Ce qui a été dit et écrit ici-même autour du Versant animal & végétal.


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