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Migrant/migration. N°702

Écrit par sur 23 septembre 2015

migrant-workers-007Migrant/migration. «Savoir où l’on place l’intolérable dans nos vies» (Jacques Rancière). Il est ainsi possible que la photo morbide du corps sans vie de ce garçon syrien de trois ans, Aylan Kurdi, allongé sur le ventre, le visage contre le sable d’une plage turque, nous donne un indice. Le symbole du drame des migrants.

Le choc dans l’opinion à qui l’image a réussi à remuer les tripes, fut tel que la Commission européenne, pour faire bonne mesure, est partie pour un nécessaire coup de main. Elle a présenté un plan pour répartir les migrants entre pays membres. A quoi doivent répondre les nations. Qui l’une après l’autre se barricadent. Soit deux sons de cloches : l’un “sois le bienvenu“, l’autre “casse-toi! ».

Mais l’hypocrisie générale est de mise. D’une manière comme de l’autre. Car les entreprises trouvent évidemment leur compte à l’utilisation à venir d’une main-d’œuvre surexploitable, d’autant quand elle est précarisée et soumise à l’angoisse du renouvellement par la détention d’un titre de séjour provisoire. L’Etat, quitte à s’afficher garant de la «maîtrise des flux migratoires» au prix de quelques milliers de morts aux frontières, s’accommode fort bien depuis longtemps de cette présence de ces « vies précaires » si bénéfique pour de nombreux secteurs de l’économie. Ultra-vulnérable – sans place ni part -, le migrant (ou nomade, ou exilé ou personne déplacée) est dès lors considéré comme exploitable.

Voyez comme ce n’est pas l’empathie qui manque : le camp de Dachau reconverti en hébergement d’urgence. 43 000 déportés ont péri pendant la Seconde Guerre mondiale dans ce camp de concentration. Une annexe sert désormais de centre d’accueil aux migrants et sans-abri. Incroyable mais vrai !

Comme l’a remarqué le philosophe Jacques Rancière, l’action des gouvernements consiste à organiser « la répartition des places » . Le partage des individus, entre ceux qui sont libres de voyager, d’échanger, et ceux qui ne le sont pas doit être rapporté au rôle des États au sein de l’économie mondialisée.

migrant5Rancière en expose les ressorts : «c’est la nature même de l’Etat que d’être un Etat policier, une institution qui fixe et contrôle les identités, les places et les déplacements (…) Ce travail est rendu plus insistant par l’ordre économique mondial. Nos Etats sont de moins en moins capables de contrecarrer les effets destructeurs de la libre circulation des capitaux pour les communautés dont ils ont la charge. Ils en sont d’autant moins capables qu’ils n’en ont aucunement le désir. Ils se rabattent alors sur ce qui est en leur pouvoir, la circulation des personnes. Ils prennent comme objet spécifique le contrôle de cette autre circulation et comme objectif la sécurité des nationaux menacés par ces migrants, c’est-à-dire plus précisément la production et la gestion du sentiment d’insécurité. C’est ce travail qui devient de plus en plus leur raison d’être et le moyen de leur légitimation» (lire ici). 

Précisément, c’est sous le vocable bien nommé de « politiques migratoires » que se cache la gestion policière et raciste d’une dérégulation mondialisée. De telle sorte que la prise en compte des « sans-part » décrite par Rancière est plus que jamais à la base des enjeux centraux d’une réflexion sur la politique: considérer l’autre comme un égal.

Migrants_police_cr_3446285bDu coup, permettez ce retour vers Kristin Ross, notre historienne de la Commune souvent citée dans ces colonnes-ci. En effet, dans Le Monde diplomatique ( mai 2015) sous le titre L’internationalisme au temps de la Commune, elle écrit ceci: «  De nombreux historiens ont analysé la Commune de Paris comme un soulèvement patriotique trouvant son origine immédiate dans la confiscation des canons de la Garde nationale en mars 1871. Mais les fondements intellectuels de cette insurrection semblent plus anciens : dès 1868, dans les clubs politiques et les réunions populaires de la capitale, des citoyens en appellent à la « République universelle ». » (…) « « Commune » et « République universelle » représentent deux éléments fondamentaux de l’imaginaire politique de la Commune de Paris, deux expressions dont la charge affective déborde tout contenu sémantique précis. »

Dans ce même article, elle poursuit : « L’expression « République universelle » renvoyait à un ensemble de désirs, d’identifications et de pratiques qui ne se laissaient pas définir par le territoire de l’Etat ou circonscrire par la nation. » « Le lendemain de la proclamation de la Commune, tous les étrangers furent admis dans ses rangs, car « le drapeau de la Commune est celui de la République universelle« . Mais l’expression n’est pas née à ce moment; elle remonte en réalité à un bref épisode d’internationalisme pendant la Révolution française. Son inventeur, Anacharsis Cloots, Prussien d’origine, qui se présentait lui-même comme « l’orateur du genre humain », soutint cette révolution aux côtés de Thomas Paine, sur des bases internationalistes, avant d’être guillotiné. Cependant, loin de signifier un retour aux principes de la révolution bourgeoise de 1789, le mot d’ordre de la République universelle, lancé par les communards, marque leur rupture avec son héritage, en faveur d’un véritable internationalisme des travailleurs. »

Le même auteur note dans son dernier ouvrage L’imaginaire de la Commune : « Menée sous le drapeau de la République universelle, l’insurrection dans la capitale a toujours résisté, en tant qu’événement et en tant qu’élément de la culture politique, à toute intégration fluide dans le récit national. Comme le dit des années après l’un de ses participants, la Commune fut avant tout « un acte audacieux d’internationalisme ». »(pg 17).

Manifestement, les Communards ont fait exister l’égalité avec l’étranger dans leurs actes mêmes. Ce qui traduit l’audace de leur redéfinition de la politique. Autrement dit, elle nous indique que l’idée de « République universelle » est toujours disponible. Et ce faisant, prête à être portée plus loin !

Migrant/migration. Belle occasion pour revenir sur cet entretien sur l’histoire des migrations italiennes en Bretagne avec Céline Emery, doctorante en anthropologie à l’université de Bretagne.

D.D


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